Viol : "Je me souviens de la peur partout en moi"
Photo extraite du webdocumentaire de France Télévisions "Viol, les voix du silence". (Thomas Salva - Doc Side Stories)
Depuis le mois de juillet, à l'appel de Clémentine Autain, des
centaines de femmes victimes de viol nous ont écrit. Plus de 300 d'entre
elles ont signé le manifeste "Je déclare avoir été violée", publié dans "le Nouvel Observateur" du 21 novembre. Extraits de leurs témoignages.
"J'avais 8 ans la première fois"
"J’avais huit ans la première fois. Il en avait vingt-cinq, c’était
un cousin. A l’adolescence, j’ai parlé. On ne m’a pas crue. A l’âge
adulte, j’ai parlé. On m’a insultée. A 43 ans, j’ai encore parlé dans ma
famille, on m’a menacée. J’ai parlé à l’université où j’élabore une
thèse, on m’a dégagée. J’ai parlé à la justice, on m’a demandé pourquoi
j’avais mis tant de temps. Aujourd’hui, d’avoir parlé, j’ai tout perdu.
Famille, travail, dignité. Je suis anéantie mais en vie".
(Sophie Paris)
"Je me souviens avoir vu son sexe de très près"
"La première fois, j'avais 9-10 ans. Je rentrais seule à pied de mon
cours de danse. C'était l'hiver, il faisait nuit. Un homme est sorti
d'un bar, il m'a coincée dans une ruelle. Il a ouvert son pantalon. Je
me souviens avoir vu son sexe de très près. Je me souviens de la peur
partout en moi, de sa main derrière ma tête. Puis, le trou noir. Et je
cours, les voitures me frôlent sur la route, je cours, je cours.... La
deuxième fois, j'avais 23 ans. Un ami de mon père m'aide à emménager
dans mon nouveau studio. En remerciement il veut du sexe. Je me sens
redevable, je me laisse faire. Il refuse le préservatif, alors je dis
NON, je me débats. Je tente de me relever, mais je suis déjà coincée
sous lui, il devient menaçant, je me dis que je ne peux rien faire à
part prendre des coups, alors je ne bouge plus. Je pars de mon corps.
Pourquoi le dire ? On ne me croira pas, c'est ma faute. Etait-ce
vraiment un viol?"
(Virginie Oudin, 36 ans)
"Il était moche, gros et très grand"
"Je l'ai croisé par hasard dans mon quartier, il y a plus de quarante
ans. Il semblait paumé, déprimé. Gentiment je l'ai invité prendre un
café dans ma minuscule chambre. Il ne voulait plus. Il était moche, gros
et très grand. Il s'est jeté sur moi, je n'avais aucune chance. 'Dis-le
que tu aimes ça, salope', voilà les mots de ce pauvre type".
(Erika Fischer, 67 ans)
"Il me reste une putain de rage !"
"J’ai été violée à l'âge de 8 ans par un ado. Mes parents ont
retrouvé le coupable, mais n'ont pas porté plainte pour ne pas 'gâcher
l'avenir d'un jeune'. Ils pensaient bien faire. Ils pensaient que mon
silence voulait dire que je n'y pensais pas. Ils se sont trompés […] Il
me reste une putain de rage !"
(Christine, 42 ans)
"Le mari de ma sœur m'a violée"
"En 1950, j'avais 22 ans, j'habitais à Livry-Gargan. Mon beau-frère,
mari de ma soeur, m'a violée. A cette époque, il était impensable de
faire état de ce crime. Comme mon beau-frère n'a pu répéter ce forfait,
il n'eut de cesse de me nuire. Sa femme, ses enfants, et toute ma
famille, m'ont rejetée. Y compris mon fils aîné et ses filles."
(Suzanne Navellou, 85 ans)
"J'étais conditionnée par l'idée que la sexualité, c'était ça"
"J'ai été abusée par mon frère à l'âge de 10 ans, il s’agissait
d’attouchements avec masturbation. J'aimais mon frère et il n'a pas été
violent. Lorsque je me suis mariée, j'étais prête à tout accepter sur le
plan sexuel. Mon mari me violait régulièrement, c'est-à-dire qu'il me
faisait l'amour sans mon consentement, d'une manière violente, sans
tendresse. Je m'étais habituée, j'étais conditionnée par l'idée que la
sexualité, c'était ça."
(Claudine Henri)
"Je n'ai pas porté plainte car je me sentais coupable"
"J'ai été violée à l'âge de 22 ans, j'en ai maintenant 29. Je n'ai
pas porté plainte, car je me sentais coupable de ce qui avait été
fait... J'ai lutté contre cet homme que je connaissais. Pendant deux
heures, je crois. Et puis j'ai abandonné, alors il a pu me pénétrer. Je
ne me souviens même pas de ça, je me souviens d'avoir été au-dessus,
comme détachée de mon corps. Depuis ma vie est un enfer, car l'homme qui
m'a fait ça ne sera jamais jugé. J'aurais préféré mourir cette nuit-là
plutôt que de subir ça, continuer à vivre avec, à me sentir salie, à
penser qu'à cause de ce qu'il m'a fait je ne mérite pas d'être aimée
pour ce que je suis car cette nuit-là, on m'a volé quelque chose de
précieux. Je pense que les règles doivent changer, que l'on doit mieux
accompagner les victimes, qu'il y ait un meilleur suivi, un meilleur
accueil quand on essaye de porter plainte. J’ai essayé, on m'a expliqué
toute la procédure, je n'ai pas osé continuer, devoir être confrontée à
celui qui m'a fait ça est toujours au-dessus de mes forces. Que l'on
arrête de penser que c'est forcément la femme qui a cherché à séduire
l'homme et non l'homme qui a voulu abuser d'elle".
(Anonyme)
"Je n'ai aucun souvenir clair de ce qui s'est passé"
"Je n'ai aucun souvenir clair de ce qui s'est passé. C'était un
samedi, tôt le matin, et il m'a offert un jus d'orange. Après ? Je ne
sais pas. Je ne saurai jamais ce qu'il m'a fait. Je ne serai jamais sûre
de rien. Le flou me dépossède de la possibilité même de me révolter.
C'est une nausée discrète et inaltérable."
(Valentine)
"C'était un homme que je connaissais, pas un inconnu"
"En 1997, j'avais 22 ans. J'ai subi un viol alors que j'étais
étudiante en licence de philosophie à Paris. Cela s'est passé en
matinée, pas la nuit dans une rue étroite. C'était un homme que je
connaissais, pas un inconnu. Il m'a séquestrée le temps de me terroriser
et de me violer. Je me souviens de tout, comme il a enlevé sa ceinture
et fermé la porte à clé, comme il a menacé de me torturer, comme il a
menacé d'aller tuer ma famille. J'étais paralysée et bizarrement je
"mouillais", oui je mouillais. De peur. Mon corps avait pris le relais
sur ma pensée. Puis il m'a mise sur le ventre, a enfilé un préservatif.
Je voyais la scène comme si j'étais hors de mon corps. Quand il a fini
il m'a dit 'tu vois, ce n'était pas si terrible'. Il s'est rhabillé, il
est parti. Je suis rentrée chez moi, sans billet de train je me
souviens. L'homme appelait chez moi, il parlait à ma mère, lui disait à
quel point il prendrait soin de moi. Personne n'a rien vu, mais ai-je
dit quelque chose? A partir de là, ma vie a été une sorte d'errance pour
ne plus penser. Mes choix amoureux et mes choix de vie ont été
grandement influencé par cet événement. En 2010, je suis allée à la
gendarmerie, deux femmes ont recueilli mon témoignage mais il n'y a pas
eu de suite du fait du délai de prescription. Puis il y a eu "l'affaire
DSK", j’ai ressenti l'impunité comme une grande injustice. J’ai écrit au
procureur de Paris, où a eu lieu mon agression. Là encore, il n’y aura
pas de suite."
(Marie, 38 ans)
"La honte d'être jugée par ma famille"
"J'ai les larmes aux yeux en écrivant, ce qui m'est arrivé est un
fait divers banal. J'ai 57 ans, j'ai discuté avec un homme pendant
plusieurs mois, ensuite on a pris un café dans un lieu public.
Invitation chez moi dans l'après-midi. Le rendez-vous tourne mal. Au
départ j'étais consentante, mais il m'a bloquée et je suis restée
terrorisée sans aucune volonté. Il a arrêté en voyant le lit couvert de
sang. Il est parti. En tout, il est resté 20 minutes. J'ai appelé ma
soeur, elle est arrivée. J’ai fait une hémorragie. Syncope, médecin,
j'habite loin de tout, il a essayé d'arrêter les saignements sans
résultat. Arrivée aux urgences, j'ai saigné encore, bilan : 2 points de
suture internes, 3 externes. Et la honte d'être jugée par ma famille. Le
gynéco me dit de ne pas cautionner l'acte de ce monstre, d'aller à la
gendarmerie pour les autres femmes qu'il pourrait rencontrer. Donc, je
mets ma fierté dans la poche, je me rends chez les gendarmes de mon
petit village. Je ne peux pas déposer plainte, je l'ai fait rentrer
volontairement chez moi, j'aurais dû hurler sur mon balcon, voilà le
conseil d'un gendarme. Depuis bientôt 5 ans, tous les jours, je porte
les stigmates physiques et psychologiques de cette mauvaise rencontre.
Si vous avez eu le courage de me lire jusqu'au bout, j'espère que votre
mouvement fera changer la façon d'accueillir les femmes suite à une
agression. Nous sommes loin de l'écoute, du réconfort".
(Claude G.)
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