Vert à tous les étages
Le projet Canopea, soit un écosystème urbain, en relation avec des voisins, des transports. - SDEurope Imaginons des petites tours
verdoyantes de dix étages, qui pousseraient à Grenoble, composées de
commerces au rez-de-chaussée, de bureaux au premier étage,
d’appartements-maisons empilés et d’un dernier étage collectif, sous une
toiture solaire lumineuse telle une canopée. Ce projet français,
Canopea, a remporté le Solar Decathlon, édition européenne de la
prestigieuse compétition américaine d’architectures solaires, qui s’est
déroulée en septembre à Madrid (lire l’encadré ci-après). Les
vainqueurs, une équipe chercheuse pluridisciplinaire de la région
Rhône-Alpes (1), y ont fait fonctionner un prototype (2) réduit à deux
étages mais de grandeur nature.
Mutualiste, économe en énergie, le bâtiment est d’une grande
cohérence, et peut se lire comme une série de propositions alléchantes
qui dessinent un futur possible pour l’architecture. Pascal Rollet (né
en 1960), de l’agence parisienne Lipsky + Rollet (3), enseignant à
l’école d’architecture de Grenoble, en est le coordinateur. «C’était une folie, raconte-il. Pour
ce marathon de deux semaines, nous avons piloté numériquement notre
prototype comme un bateau à voile, en fixant des caps. Afin d’ajuster
notre stratégie en direct pour répondre à dix épreuves.» Les dix
critères étaient: architecture, ingénierie/ construction, fonctionnalité
énergétique, balance énergétique, confort, fonctionnement, liens avec
le social, industrialisation et marchés, innovation et développement
durable. Est-ce une greentower de plus, belle image planant loin de la
réalité? Rien de spectaculaire en apparence dans cette mini-tour. «C’est un habitat simple, défend Rollet, l’antithèse
de la maison d’architecte ! Surtout, Canopea n’est pas un bâtiment seul
mais un écosystème urbain, en relation avec des voisins, des
transports. Qui a nécessité un travail collectif de Recherche &
Développement de haut niveau pendant quatre années. Avec des milliers de
règles, comme dans la réalité.»

«Les Rhône-Alpins, rétorque Rollet, comme 86 % des Français, rêvent de mas dauphinois avec des dépendances et 360° de liberté autour de la maison. Ils s’étalent dans les vallées, ce qui suscite des embouteillages monstres à l’entrée de Grenoble. C’est le paradoxe de cette ville : les habitants sont écolo-sensibles, les Verts représentent 22 % des électeurs, mais ce sont de grands pollueurs, notamment à cause des voitures.» Tout cela a orienté la question posée par l’équipe: comment inventer un type d’habitat aux qualités spatiales d’une maison en ville, pour vivre ensemble mais séparément, près des commerces, des transports? Ce petit îlot de Tower Houses serait implanté sur la Presqu’île scientifique de Grenoble. Là, germe une nouvelle éco-cité mixte, regroupant universités, logements, bureaux, industries. Ce quartier, proche de la gare, est coordonné par l’architecte-urbaniste Christian de Portzamparc.
Les travaux doivent commencer en 2013. «Cette zone consomme énormément d’énergie, poursuit Rollet, comme le Synchrotron européen ou les pompes qui régulent le cours du Drac. Cela produit beaucoup de chaleur dont 60 % à 70 % est perdue. L’objectif est de la récupérer pour chauffer une boucle d’eau tiède dans le sol, dont les habitants bénéficieraient. On pourrait gérer un territoire à énergie positive.» Mais entrons à l’intérieur d’un appartement-maison, un carré: dix mètres sur dix, logement social ou accession à la propriété. Il est composé d’un bloc de salle-bain-cuisine ouverte, d’une chambre de 13 m2, d’un salon flexible grâce à une cloison mobile qui délimite une chambre. Ce logis en étage est entièrement entouré de coursives et terrasses, chacun peut ainsi disposer d’un mini-jardin et d’une vue. L’acoustique et l’isolation y sont particulièrement soignées. Voilà pour le cocon individualiste, dont la géométrie n’est pas figée.
Chaque tour est reliée aux autres. Mais en haut de l’immeuble, sous la canopée de cent mètres carrés de panneaux solaires bi-verres, est proposé un espace partagé, ouvert, ventilé, non chauffé (9°). Des usages collectifs y sont regroupés: jeux d’enfants, cuisine d’été, lieu de fête, laverie et étendoir à linge. «A Paris, calcule l’architecte, le mètre carré d’un appartement à l’achat vaut 10000 euros, l’emplacement d’une machine à laver vaut donc 10 000 euros. Il faut gagner cet espace quand le foncier manque, le mutualiser.» Reste à gérer les économies d’énergie. «Pour les postes de dépenses dites réglementaires, détaille Rollet – chauffage, climatisation, ventilation, eau chaude, pompes, téléphonie, éclairages –, notre Canopea consomme 40 kilos watt heures ep (énergie primaire) au mètre carré par an, hors production photovoltaïque et hors récupération d’énergie sur la boucle d’eau tiède du quartier. En valorisant cette production d’énergie hors réseau EDF, on descendra effectivement en dessous des 35 kWhep/m2/an. L’installation photovoltaïque, testée sur le prototype à Madrid, a produit trois fois plus que ce que le logement a consommé. Dans une tour à Grenoble, on pourrait donc produire assez d’énergie pour 2,5 logements rien qu’avec la toiture solaire.»
Rappelons, pour comparaison, la réglementation thermique française actuelle (RT2012) : elle fixe jusqu’en 2015 un niveau maximum de consommation de 63 kWhep/m2/an pour un logement à Grenoble (climat de montagne), il y a un bonus par rapport aux 50 kWhep/m2/an, chiffre réglementaire en France. Ajoutons que les habitants disposeraient d’applications smartphones connectées à des boîtes intelligentes pour contrôler et gérer leur consommation, sans automatisme, en gardant la main. L’intérêt de cette recherche ne se limite pas à un bilan énergétique domestique. «Il y a une cinquième roue oubliée, ajoute Rollet, la chaîne alimentaire. Une salade, pour arriver dans un magasin, parcourt en moyenne six cents kilomètres. On propose donc une ferme en étages à côté des tours, une agriculture urbaine biologique dans des bacs de terre, une invention savoyarde. Cela fonctionne et est agréé par l’Inra. On pourrait assurer le complément alimentaire du quartier en fruits et légumes. Autre perspective : le lien avec l’automobile, rangée dans un parking-silo, dont on pourrait récupérer l’énergie des batteries.»



Le prototype (de deux étages) qui a été exposé à Madrid et aujourd’hui
à Grenoble.
C’est en partant du contexte original de la région Rhône-Alpes que
l’équipe a nourri sa réflexion. Dans ce sud-est alpin, entre lacs,
montagnes, rivières et vallées, le terrain est rare. A Grenoble, ville
verticale de bâtiments de huit et dix étages en moyenne, il n’y a pas eu
de grandes fortunes bourgeoises au départ pour la bâtir. Y est née une
tradition spécifique de copropriétés, la loi de 1910 est d’ailleurs
inspirée directement des usages grenoblois. Les associations y
foisonnent. Est-ce un terreau culturel favorable pour créer de la
densité urbaine et mutualiser des services? Pas plus qu’ailleurs.à Grenoble.
«Les Rhône-Alpins, rétorque Rollet, comme 86 % des Français, rêvent de mas dauphinois avec des dépendances et 360° de liberté autour de la maison. Ils s’étalent dans les vallées, ce qui suscite des embouteillages monstres à l’entrée de Grenoble. C’est le paradoxe de cette ville : les habitants sont écolo-sensibles, les Verts représentent 22 % des électeurs, mais ce sont de grands pollueurs, notamment à cause des voitures.» Tout cela a orienté la question posée par l’équipe: comment inventer un type d’habitat aux qualités spatiales d’une maison en ville, pour vivre ensemble mais séparément, près des commerces, des transports? Ce petit îlot de Tower Houses serait implanté sur la Presqu’île scientifique de Grenoble. Là, germe une nouvelle éco-cité mixte, regroupant universités, logements, bureaux, industries. Ce quartier, proche de la gare, est coordonné par l’architecte-urbaniste Christian de Portzamparc.
Les travaux doivent commencer en 2013. «Cette zone consomme énormément d’énergie, poursuit Rollet, comme le Synchrotron européen ou les pompes qui régulent le cours du Drac. Cela produit beaucoup de chaleur dont 60 % à 70 % est perdue. L’objectif est de la récupérer pour chauffer une boucle d’eau tiède dans le sol, dont les habitants bénéficieraient. On pourrait gérer un territoire à énergie positive.» Mais entrons à l’intérieur d’un appartement-maison, un carré: dix mètres sur dix, logement social ou accession à la propriété. Il est composé d’un bloc de salle-bain-cuisine ouverte, d’une chambre de 13 m2, d’un salon flexible grâce à une cloison mobile qui délimite une chambre. Ce logis en étage est entièrement entouré de coursives et terrasses, chacun peut ainsi disposer d’un mini-jardin et d’une vue. L’acoustique et l’isolation y sont particulièrement soignées. Voilà pour le cocon individualiste, dont la géométrie n’est pas figée.
Chaque tour est reliée aux autres. Mais en haut de l’immeuble, sous la canopée de cent mètres carrés de panneaux solaires bi-verres, est proposé un espace partagé, ouvert, ventilé, non chauffé (9°). Des usages collectifs y sont regroupés: jeux d’enfants, cuisine d’été, lieu de fête, laverie et étendoir à linge. «A Paris, calcule l’architecte, le mètre carré d’un appartement à l’achat vaut 10000 euros, l’emplacement d’une machine à laver vaut donc 10 000 euros. Il faut gagner cet espace quand le foncier manque, le mutualiser.» Reste à gérer les économies d’énergie. «Pour les postes de dépenses dites réglementaires, détaille Rollet – chauffage, climatisation, ventilation, eau chaude, pompes, téléphonie, éclairages –, notre Canopea consomme 40 kilos watt heures ep (énergie primaire) au mètre carré par an, hors production photovoltaïque et hors récupération d’énergie sur la boucle d’eau tiède du quartier. En valorisant cette production d’énergie hors réseau EDF, on descendra effectivement en dessous des 35 kWhep/m2/an. L’installation photovoltaïque, testée sur le prototype à Madrid, a produit trois fois plus que ce que le logement a consommé. Dans une tour à Grenoble, on pourrait donc produire assez d’énergie pour 2,5 logements rien qu’avec la toiture solaire.»
Rappelons, pour comparaison, la réglementation thermique française actuelle (RT2012) : elle fixe jusqu’en 2015 un niveau maximum de consommation de 63 kWhep/m2/an pour un logement à Grenoble (climat de montagne), il y a un bonus par rapport aux 50 kWhep/m2/an, chiffre réglementaire en France. Ajoutons que les habitants disposeraient d’applications smartphones connectées à des boîtes intelligentes pour contrôler et gérer leur consommation, sans automatisme, en gardant la main. L’intérêt de cette recherche ne se limite pas à un bilan énergétique domestique. «Il y a une cinquième roue oubliée, ajoute Rollet, la chaîne alimentaire. Une salade, pour arriver dans un magasin, parcourt en moyenne six cents kilomètres. On propose donc une ferme en étages à côté des tours, une agriculture urbaine biologique dans des bacs de terre, une invention savoyarde. Cela fonctionne et est agréé par l’Inra. On pourrait assurer le complément alimentaire du quartier en fruits et légumes. Autre perspective : le lien avec l’automobile, rangée dans un parking-silo, dont on pourrait récupérer l’énergie des batteries.»
L’une des terrasses-coursives du prototype.
Séjour flexible du prototype.
Ce projet n’est pas une usine à gaz, même s’il est complexe, c’est un
rhizome de propositions. Il est porté par un travail, rare en France,
de rencontre de toutes les compétences: architectes, ingénieurs,
chercheurs, industriels comme Schneider et Nilan, des PME… Il a été
financé à 60 % par le ministère de la Culture, de l’Environnement et de
l’enseignement supérieur, et à 40 % par des privés. Et le futur? «Une
tour pourrait être expérimentée, à Grenoble, Lyon est aussi intéressé.
Nous sommes en discussion avec la Sem Innovia, Vinci, l’Opac 69. Il faut
se battre pour sortir du nucléaire, une impasse. Ce système jacobin
centralisé diffuse un flux stable d’énergie alors que les besoins sont
fluctuants. Il faut inventer une météo de la consommation, avec le
numérique c’est possible, pour gérer les pics de 20 heures, recréer des
productions locales, des capillarités, s’adapter aux climats
spécifiques. On sait qu’il n’y a pas de solution miracle.
L’architecture, avec ses matériaux isolants, sa bonne orientation et du
bon sens, n’est qu’un composant. Le solaire, instable, ne suffit pas,
il faut mélanger, la biomasse, le vent. Et la France a pris du retard en
matière d’écoconception. En plus, s’indigne Rollet, sa filière
photovoltaïque a été mise à mal par le gouvernement Sarkozy. Il faut se
battre, se coltiner les promoteurs, les bailleurs sociaux, les grands
groupes, EDF, Total, ceux qui font des bénéfices à dix chiffres, pour
qu’ils redistribuent leurs bénéfices vers notre compétitivité, nos
savoir-faire, l’éducation, la recherche. Mais ils privilégient les
produits financiers aux dépens des produits scientifiques. C’est une
question de volonté politique, nous le savons.»
(1) La Team Rhône-Alpes a été créée en 2008 par l’école
nationale d’architecture de Grenoble, l’Institut national de l’énergie
solaire et les Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau. L’équipe du concours
est composée de cent étudiants et vingt enseignants. En 2012, le pôle
d’excellence regroupe l’école nationale d’architecture de Lyon,
Polytech’Annecy-Chambéry, l’école de management de Grenoble ; les
universités Joseph Fourier et Stendhal ; l’école d’ingénieurs pour
l’énergie, l’eau et l’environnement, l’école d’ingénierie et de gestion
du canton de Vaud, l’Université de Genève, l’école nationale des travaux
publics, l’Université de Troyes, le Centre scientifique et technique du
bâtiment.
(2) A voir Canopea chez Schneider Électrique, site 38 Tech, quai Louis- Merlin, à Grenoble. Jusqu’au 6 mai. www.solardecathlon.fr
(3) Revue Archistorm, Lipsky + Rollet, 8,50 €.
Vue en 3D de l’espace commun mutualisé, au dernier étage.
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