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jeudi 22 novembre 2012

Borgen – La berceuse du pouvoir

Les faits sont têtus. Ils ne se laissent pas amadouer par de belles déclarations ou par des postures enjôleuses qui voudraient que l’exercice du pouvoir soit aussi simple que des promesses de campagne. Ô, on peut sincèrement le vouloir, on peut essayer de mettre en acte ses paroles avec une bonne foi indéniable, mais la réalité offre cette résistance aux mots qui contraint leurs auteurs à des ajustements, des modifications voire des renoncements. Il n'existe pas de présidence normale. La formule est un oxymore. S’il est un enseignement que nous donne Borgen, c’est celui-là. La saison 2 de la série danoise débute le 22 novembre sur Arte et c’est l’occasion de poursuivre l’exploration des arcanes du gouvernement.
Le premier chapitre proposait un récit de l’accession d’une femme, Birgitte Nyborg (Sidse Babett Knudsen), mère de famille, à la magistrature suprême. Il suivait ses premiers pas sous les ors de Christianborg, le palais qui abrite le siège du gouvernement à Copenhague et la manière dont ses nouvelles fonctions bouleversaient sa vie d’épouse et de mère malgré l’amour de son mari et de ses enfants. Il mettait en lumière le rôle essentiel de son conseiller (son spin-doctor) Kasper Juul (Pilou Asbaek), éminence grise, non élue, mais dont l’influence se révèle majeure à l’aune des décisions qui sont prises par la nouvelle Premier ministre.
La deuxième saison est celle du temps de la gestion. Une fois installée, une fois son statut de femme de pouvoir admis par ses rivaux, Nyborg n’a pas d’autre choix que de prendre les responsabilités qu’elle a voulues sans en mesurer pleinement la portée. Sont alors abordées les questions de l’arbitrage: l’engagement en Afghanistan, les relations avec l’Union européenne, le maintien de l’Etat providence (notion qui a tendance à s’évanouir devant la brutalité du libéralisme), etc.
Birgitte Nyborg n’est ni de droite, ni de gauche. Cela simplifie certes la narration mais cela lui permet d’accéder à une complexité fondée sur la négociation quotidienne, la diplomatie d’alliances, le jeu d’échecs inhérent à l’exercice du pouvoir. En creux, Borgen trouve un écho assez remarquable chez nous ou dans d’autres pays fondés sur le système (semi)présidentiel dans lesquels l’exécutif et le législatif parlent d’une même voix et n’obligent pas à des renoncements ou des compromis.
La subtilité de Borgen tient au parallèle imposé entre la vie publique et la vie privée de l’héroïne. Elle négocie le soutien d’un parti allié au parlement avec le même désespoir qu’elle tente de maintenir à flot sa vie de famille. Il est difficile d’obtenir le soutien d’une formation politique à un projet de loi, il est également compliqué de gérer les sentiments de ses enfants en cas de divorce. Il y a dans Borgen un incessant va et vient entre l’ordinaire et l’exceptionnel, entre le quotidien (faire à manger, préparer un café, discuter de choses banales) et l’extraordinaire (prendre des décisions qui affectent des millions de personnes).
Cette mise en scène de la pratique gouvernementale s’accomplit toujours sous un éclairage moral. L’intention de bien faire est omniprésente chez Nyborg. Si elle dévie de sa ligne, c’est sous la contrainte des événements, des manigances d’alcôves, des ambitions qui se poussent du col. La vision, sans être irréaliste, est malgré tout un peu idéaliste: c’est le pouvoir tel qu’on voudrait le voir exercer ou du moins tel qu’on pourrait en comprendre et en pardonner les dysfonctionnements. La vision semble un peu hors sol, de même que le rôle de la presse.
La télévision et les journaux jouent à plein leur rôle de “quatrième pouvoir” sans que soient émis de doutes suffisants sur leur influence réelle et sur leur capacité à rendre compte des tractations du pouvoir. Ce dernier se trouve toujours dans l’obligation de venir s’expliquer devant l’opinion publique comme si la transparence était une vertu cardinale respectée par les uns et les autres. Les manipulations, lorsqu’elles existent, sont minimales. En tant que citoyens, on rêve que les choses obéissent à ce rituel trop bien huilé.
Borgen est une série réconfortante car elle nous berce et nous raconte ce que nous avons envie d’entendre. Ce n’est déjà pas si mal et cela fait un pendant au “tous pourris” qui sert de crédo au populisme.

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